Haïti est un
festival de couleurs. Couleurs délavées des murs, couleurs bigarrées des
marchés omniprésents, couleurs vives des petites constructions des villages,
décoration surréaliste des célèbres " Taptap " qui brinquebalent et
promènent à travers les villes leurs armoiries à la gloire d’un Dieu qui semble
seul à pouvoir sauver ce pays oublié du reste de la planète…comme si on voulait
échapper, en coloriant le monde, aux difficultés insurmontables de la vie
quotidienne ou à l’effroyable misère des bidonvilles, comme si on voulait
prendre, à travers la peinture, la parole si souvent interdite. Les ruines sont
encore ici et là présente, souvenir terrible de janvier 2010, des tentes, des
abris faits de tôles et de cartons, rien n’y fait. Ce peuple croit en l’avenir.
Les artistes qui ont échappé à la mort ont repris leurs pinceaux.
La
peinture est partout. Cette forme d’expression semble pratiquée depuis la nuit
des temps chez les Haïtiens. On ne sait comment ce peuple est devenu " un
peuple de peintres ". Peintures naïves, religieuses, historique ou
primitives font partie de la vie quotidienne.
Peu
après l’indépendance, (1804) le Roi Christophe, mégalomane et dictateur plus ou
moins éclairé, régnant sur la région Nord, crée une Académie de peinture au Cap
Haïtien. De 1830 à 1860 la peinture historique et religieuse prend un grand essor.
Elle retrace avec un talent indéniable l’histoire de l’émancipation de ce
peuple qui fut le premier à se libérer par ses propres moyens de l’esclavage ou
immortalise les glorieux libérateurs. Elle chante la gloire d’une religion
étonnante (le Culte Vaudou) qui assimile et métamorphose avec poésie et humour
les personnages de la religion catholique ou les esprits venus avec les
esclaves de l’Afrique profonde, elle stigmatise les aberrations sanglantes des
dictatures…
Nono
:« Marché avec des ânes. »
Le
monde découvre bientôt avec étonnement et admiration l’Art naïf ou primitif
haïtien. L’homme à qui l’on attribue cette découverte s’appelle Peters Dewitt,
professeur américain et peintre de talent. Il décide, juste après la guerre de
40, de créer une école d’art et de peinture à Port au Prince. Ces années
d’après guerre seront fertiles en innovations et en découvertes artistiques et
constitueront un tournant dans l’histoire de l’art naïf. Cette école accueille
bon nombre de peintres et aussi d’autres talents (sculpture, travail du fer)
qui n’ont aucune culture artistique ni véritable connaissances techniques, mais
qui possèdent une inspiration, une grande vitalité d’expression, une fraîcheur,
un sens inné de la couleur et du trait.
Mais
c’est de la vie quotidienne qu’est née la peinture haïtienne, bien avant que
les Américains ou les Européens ne s’y intéressent. Les Haïtiens ont toujours
possédé un goût prononcé pour la couleur, pour la parole magique du dessin et
de la décoration. (Un goût pour le conte et la poésie aussi, et l’histoire de
leur pays ; mais une grande partie de la population, illettrée, n’a accès qu’à
l’oral). Beaucoup pensent que ce sont les aspirations profondes du Vaudou qui
sont à l’origine de ce sens de la peinture. Les grands peintres Haïtiens d’hier
et d’aujourd’hui ont représenté avec bonheur des scènes de cérémonies Vaudou…du
temps des esclaves (ou elles furent des catalyseurs de la révolte et de la
marche vers la libération), jusqu’à nos jours. Mais c’est le peuple haïtien qui
a joué le rôle le plus important dans cette émergence unique d’un art populaire
et dans son évolution : les Haïtiens " parlent avec la peinture ".
De
nombreux Ateliers se créent : l’Ecole du Nord, à Cap Haïtien, l’Ecole de Sud à
Jacmel (où vivent aujourd’hui nombre de peintres devenus célèbres) par exemple
Ismaël Saincilus, (Maître des icônes) entré au centre d’Art de Dewitt vers
1956, et qui deviendra le créateur de l’Ecole de l’Artibonite. Son
enseignement, ouvert à tous les jeunes talents, deviendra célèbre : ses élèves
et tous les peintres Haïtiens, lui portent une véritable vénération. La
communauté de Saint Soleil produit des œuvres puissantes, enracinées dans le
Vaudou. Parmi les paysans illettrés se révèlent de grands artistes. André
Malraux leur rend visite en 1976, quelques mois avant sa mort. Il consacrera un
magnifique chapitre de sa dernière œuvre " L’intemporel " : il dira
de cette école primitive " l’expérience la plus saisissante et la seule
contrôlable de peinture magique en notre siècle "
L’Art
pictural haïtien est multiple, foisonnant . Tous les styles possibles, du plus
naïf au plus sophistiqué, y sont présents. Par la magie du pouvoir créatif de
ce peuple, l’art prend des couleurs, des formes, une atmosphère que l’on ne
retrouve nulle part ailleurs.
Expression
populaire, mais aussi, mêlée de rêve et d’espérance, expression vitale. Dans ce
pays qui compte parmi les plus pauvres de la planète, les peintres des
bidonvilles tentent de survivre grâce à leur art. Certains de ces peintres
seront des maîtres à leur tour. Les anciens maîtres ou les plus grands sont
passés dans l’histoire de l’art mondial, d’autres talents sont nés : Eddy
Jacques, Rose Marie Desruisseaux, André Normil, Calixte Henri, Cameau Rameau,
Célestin Faustin, Fritzner Lamour, Richard Antilhomme, Saincilus Ismaël, Claude
Dambreville, Philippe Dautruche, Clautaire Dominique, Eddy Dorville, Préfète
Dufaut,Yves Lafontant, Elie Nelson, Metellus Bekens, Prospère Pierre Louis,
Anslot Thomas…il faudrait en citer bien d’autres.
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